Miroir, réfléchis-moi!

 

 

 

 

 

Miroir, réfléchis-moi

TROIS ÉTATS LUMINEUX LE RENDENT RÉFLÉCHIT

LE REFLET CONTRÔLÉ

LE PROCESSUS

ARDUINO

LA MATIÈRE

LA BOITE NOIRE

AUTOPSIE

Autopsie d’un miroir

Par Leen Yolkin Yigitoglu

Dans le cadre de mes études en master Humanités Numériques, j’ai créé un miroir interactif. Doté d’une carte électronique Arduino, d’un capteur de distance par ultrason et de leds, ce miroir est éclairé de trois manières différentes selon notre position devant lui.

 


TROIS ÉTATS LUMINEUX LE RENDENT RÉFLÉCHIT

 


Voir l’intérieur à travers le reflet de son environnement

Le premier état se montre avec une lumière rouge à l’intérieur du miroir. Celle-ci s’allume par défaut quand il est branché.

 

Deux mains se juxtaposent l’une à l’autre

Le deuxième état lumineux apparaît lorsque l’on est trop proche du miroir, celui-ci est éclairé de l’intérieur, il reflète moins, voire plus du tout son environnement.

 

Ici, seule notre présence est éclairée

Le troisième état se présente lorsque l’on est simplement en face de lui. Les leds devant s’allument et nous éclairent. Notre visage dans sa lumière, nous voyons enfin notre reflet distinctement.

 


LE REFLET CONTRÔLÉ

L’intensité de notre reflet est dosée selon la force de la source lumineuse présente à l’intérieur ou à l’extérieur de ce miroir. Cela est possible avec l’utilisation d’un miroir sans tain. L’utilisation de ce système dans mon objet permet sensiblement de remettre en question notre réalité de tous les jours, car le miroir habite notre quotidien depuis longtemps pour ne pas dire depuis toujours. Notre reflet est-il une recréation imparfaite de notre apparence? Ou au contraire, son double le plus fidèle qui puisse exister.  Dans tous les cas, notre présence y est reflétée toujours de manière inversée. Notre droite devient la gauche et notre gauche devient la droite.  La tentation de pénétrer ce monde à l’envers est grande et beaucoup de légendes, d’histoires, de superstitions en découlent.

De l’autre côté du miroir

Avec cette création, on ne peut s’empêcher de penser au roman de Lewis Caroll, celui dans lequel Alice rêve qu’elle passe de l’autre côté d’un miroir. Notre reflet qu’on découvre à l’intérieur est à la fois nous et en même temps, quelqu’un d’autre que l’on découvre. Pourtant, le jeu de lumière dans cette création, nous démontre que s’enfoncer vers la nature même de ce miroir ne fait que nous confronter à notre propre réalité. Celle qui nous fait réaliser qu’on ne peut pas aller plus loin sans briser sa surface. Réalité ou simulacre, nous sommes toujours étonnés de ne jamais pouvoir toucher ce reflet, ne faisant que rentrer en contact avec la matière de la glace.

Une main sort du sol et traverse le miroir pour le maintenir

Elle tient fermement le cadre de ce dernier. En le traversant de l’extérieur, elle représente une manifestation provenant de l’autre monde, tout en étant ancrée dans le nôtre. Ce n’est plus nous qui regardons le miroir, qui l’inclinons, le manipulons, on est face à une attitude qui nous est étrangère. Lorsque l’on regarde l’objet en plongée, le passage de l’extérieur vers l’intérieur jusqu’à l’extérieur est accentué par le reflet des phalanges.

Deux mains, pour n’en faire qu’une

Cette création suggère que la main à l’intérieur du miroir est la même que celle qui le tient. En effet, nous voyons deux mains droites. Lorsqu’elle est éclairée ouverte, notre reflet disparaît. Alors le miroir n’est plus un miroir, mais une fenêtre offrant une vue sur son intérieur. Elle exprime une réalité au-delà du simulacre. Cette statue ouverte nous empêche de briser le miroir, en le faisant disparaître. Elle nous attire alors vers une autopsie du miroir et de son fonctionnement. Comme si nous étions déjà piégés à l’intérieur.

 

La beauté du fonctionnel

En effet, il y a là une esthétique de l’organe, des entrailles, de la tripaille avec ses circuits qui permettent son fonctionnement. Cette sensibilité là, est renforcée notamment par la couleur rouge ambiante, qui évoque celle du sang. Les câbles électriques sont les veines qui maintiennent en activité ce miroir pensant.


LE PROCESSUS

 

 

Avant de me lancer dans la concrétisation du design de mon miroir, je l’ai d’abord conceptualisé à l’aide d’un croquis que j’ai réalisé sur ordinateur. Et même si cela n’est pas évident à voir dans ce dessin, la matérialité du miroir sans tain était déjà présente dedans. Le  jeu de reflet et de transparence qu’on pourrait provoquer grâce à la lumière était dans mes intérêts. Ainsi je cherche à m’amuser avec ce que peut nous représenter « l’autre côté » d’un miroir.  Par la suite, l’idée que ce miroir nous éclairerait plus ou moins selon notre position dans l’espace s’est révélée avec le travail électronique que j’ai accompli avec l’Arduino.

Le code ARDUINO du miroir :

Les tests :

 

 

Pour trouver un moyen efficace de rendre interactif ce miroir, des essais ont été réalisés jusqu’à trouver la bonne combinaison de paramètres à appliquer.

 

 

 

 

J’ai par la suite, remplacé certaines leds par une source lumineuse plus puissante. Il s’agit d’une led à 3V qui se charge d’éclairer l’arrière du miroir.

 

Quelques leds, des résistances, un capteur à ultrason HC-SR04 et bien entendu la carte Arduino Uno. Cependant, avant de me décider d’utiliser le capteur à ultrason, j’avais testé un capteur de mouvement HC-SR501 à infrarouge. Malheureusement, ses résultats n’étaient pas assez nuancés pour mon projet. En effet, j’avais besoin de plusieurs états différents pour illuminer interactivement mon miroir. Ainsi j’en suis venue à utiliser le capteur à ultrason, qui permet de détecter la distance de n’importe quel obstacle devant lui.

 

 

LA BOITE NOIRE DEVIENT LA BOITE ROUGE

 

 

 

J’ai recouvert mon objet d’un matériau rouge. Cela sert non seulement à éviter la diffusion de la lumière permettant ainsi de cloisonner cette dernière et de l’intensifier mais aussi à cacher l’intérieur de la création. Comme toute boîte noire, elle permet de dissimuler le fonctionnement du système qui habite le miroir de sorte que, le regardeur ne peut avoir affaire à son intérieur autrement qu’en traversant du regard son reflet.

Le rouge, comme on a pu le voir sert non seulement à intensifier la sensation d’intérieur du miroir, mais aussi à donner une allure légèrement glamour. Car le miroir est dans la grande majorité de ses utilisations un objet de coquetterie. Des rubans auto-agrippants y ont été collés pour faciliter son ouverture et son démontage.

 

 

Autopsie d’un miroir

Ainsi, avec le jeu de lumière, on maîtrise le reflet. Un reflet imparfait qui traverse la matière légèrement bulleuse de la glace. Écho de notre présence, son aura fébrile est maîtrisé. Il y a toute une dimension spirituelle quant à l’interruption du pouvoir spéculaire de cette création. En effet, comme si notre volonté de s’introduire dans le miroir se conclut par la levée de l’illusion. Lorsque nous ne nous voyons plus, notre regard est capturé à l’intérieur de la glace. Cet état nous évoque non seulement le mythe de Narcisse, car lorsqu’il rejoint son reflet, il traverse la surface liquide miroitante et fini noyé dans le lac, mais aussi les légendes qui entourent la mort et les miroirs dans la kabbale.

 

       « La croyance au gilgul, à laquelle nous associons le rite des miroirs, selon laquelle une partie de l’âme du mort risque à tout moment de saisir le corps et l’esprit du vivant, rejoint la clinique du deuil et le surgissement d’instants de dépersonnalisation et de bascule identitaire. Le miroir du deuil représente une zone de confusion entre le mort et le vivant, l’animé et l’inanimé, le lieu de rencontre avec le fantôme du mort, lieu illimité de l’errance. Lors du deuil, voiler les miroirs atténuerait dans un premier temps l’excès traumatique de l’image, pour que l’effraction ne brise pas la structure du Moi lors d’instants de troubles identitaires passagers, le temps pour le travail du deuil d’amorcer la recomposition identitaire. »

Egry, Marie-Claude. « Les miroirs du deuil. Du miroir de l’absent au deuil du regard ». Le Coq-héron 214, no 3 (2013): 29‑40.

 

Dans cette analyse, voiler les miroirs après un décès serait un rite de protection. Toute la part fantastique du miroir est cachée de notre regard afin d’éviter par exemple, que l’âme d’un mort s’en prenne à un vivant grâce à celui-ci.

 

En somme, le miroir en lui-même est un objet chargé de mythe. Et cette œuvre se comporterait presque comme un lieu de transition spirituelle et fantasmagorique. Elle saisit à l’aide de ses mains, une part de notre vie et l’attire dans les profondeurs de ses plus grands secrets.